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Les femmes, éternelles oubliées de l’Histoire

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Les femmes, éternelles oubliées de l’Histoire
(article paru dans Gauchebdo du 25.10.13)

La RTS a eu la bonne idée de créer une série de 4 films autour de 6 personnalités qui ont marqué l’Histoire suisse, et seront diffusés en prime time sur RTS I du 3 au 30 novembre: Werner Stauffacher, Nicolas de Flüe, Hans Waldmann, Guillaume-Henri Dufour, Stefano Franscini et Alfred Escher. Les femmes représentent 50% de la population mais aucune n’a été considérée comme digne d’avoir marqué les 400 ans d’histoire retenus: de la naissance de la Confédération (14e – 15e siècles) à l’avènement de la Suisse moderne au 19e siècle.

Les têtes pensantes qui ont imaginé cette série se situent dans la droite ligne de ce qui se passe depuis que l’écriture existe: les textes fondateurs (les mythologies, la Bible, le Coran, les lois, etc.) ont été écrits par les hommes pour les hommes, les femmes n’y ont aucune place, sinon celle de servante.

Depuis l’Antiquité jusqu’au début du 20e siècle, les femmes ont été écartées du pouvoir et des décisions du peuple, quand il avait des droits. Elles ont été écartées de l’instruction (Charlemagne avait fondé une école destinée aux fils de ses preux, Calvin un Collège destiné aux seuls garçons).

Malgré tous ces obstacles, quelques figures de femmes ont émergé dans l’Histoire:

en Egypte, les reines Hatchepsout, Néfertiti, Cléopâtre; en Syrie, la reine Zénobie de Palmyre, qui apporta la paix et s’entoura d’artistes. La Grecque Sappho que Platon surnomma la «Dixième Muse»; à Alexandrie, Hypathie (v. 370-415), philosophe et génie scientifique. A Byzance, Théodora. Je ne nommerai pas les grandes reines de France, malgré la loi salique, et d’Europe, que tout le monde connaît, mais encore deux figures majeures: Sainte Thérèse d’Avila, qui réforma les couvents, dont les écrits eurent une importance capitale pour la langue castillane et Hildegard von Bingen (Allemagne, 12e siècle), génie d’esprit universel en théologie, musique (elle fut la première au monde à composer), littérature, linguistique, médecine, fondatrice des sciences naturelles, qu’on pourrait comparer à Léonard de Vinci, mais dont je n’ai entendu parler que bien après mes études.

Jusqu’à la fin du 19e siècle, les femmes n’avaient pas le droit de disposer de leurs biens matériels ou intellectuels. Si elles voulaient déposer un brevet, c’était au nom de leur mari, ce qui explique, en partie, leur peu de visibilité parmi les inventions. Il y en eut pourtant de nombreuses dues aux femmes. Citons-en trois (en dehors de Marie Curie): Ada Byron de Lovelace (1915-1852) inventa les premiers programmes du premier ordinateur numérique de l’histoire (en reconnaissance, son prénom ADA a été donné à un langage de programmation); Grace Murray Hopper (1906-1992) inventa le langage informatique COBOL; Rosalind Franklin (1920-1958) décrivit en 1953 la structure de l’ADN, mais ce sont Watson et Crick qui, utilisant ses découvertes, reçurent le prix Nobel de physiologie en1962, 4 ans après sa mort.

Rosalind Franklin (1920-1958)

Venons-en à la Suisse. Marie Dentière, théologienne, dialoguait avec Calvin. Michée Chauderon fut la dernière sorcière brûlée à Genève (en 1652). Anna Göldin fut accusée de sorcellerie et décapitée à Glaris en 1782, elle figure parmi les dernières qui furent exécutées en Europe. Marguerite Champendal, médecin, créa l’Ecole d’infirmières du Bon Secours. La brillante Germaine de Staël, Jeanne-Henriette Rath, fondatrice du musée qui porte son nom, cette liste n’étant de loin pas exhaustive.


Femme suisse accusée de sorcellerie et condamnée au bûcher (gravure, vers 1700)

Dans la période retenue pour la série télévisée (avant le cinéma), citons une femme parmi les nombreuses qui ont œuvré pour la paix: Valérie de Gasparin (1813-1894), qui fut de tous les combats, pour aider les pauvres, contre l’esclavage, contre la traite des jeunes filles. En 1854, durant la guerre de Crimée, elle déclencha un vaste mouvement de solidarité. En 1859, appelée par Henri Dunant, elle s’associa à la première mission internationale de secours aux victimes de combats. La même année, elle fonda la première école d’infirmières du monde, qui deviendra «La Source».

Tournons enfin le projecteur sur la féministe Marie Goegg-Pouchoulin (1824-1899), qui a précédé dans l’Histoire Marga Bührig et Emilie Gourd. C’est elle qui fonda, en 1868 à Genève, la première société féministe en terre romande, et l’Association internationale des femmes, dont le but était de soutenir les efforts tendant vers la paix et les droits des femmes. Elle fonda le «Journal des Femmes», premier journal féministe suisse. On lui doit par ailleurs l’admission des femmes à l’Université de Genève.

L’Histoire n’est pas un monolithe. Chaque époque revisite son passé par rapport à ses nouvelles connaissances et valeurs. Il est évident que si l’on ne s’intéresse qu’aux chefs de guerre (3 sur 6 dans la série en question) ou aux pionniers de l’industrie, on ne trouvera que des hommes. En revanche, si l’on s’intéresse au peuple, on trouvera autant de femmes que d’hommes. Or, ce sont les peuples qui sont la chair de l’Histoire.

Les travaux scientifiques actuels tendent à montrer que les éléments civilisateurs ont toujours été le fait des femmes: la conservation du feu, la poterie, le tissage, l’agriculture, etc. Il semble même que les fameuses peintures des grottes furent réalisées par des femmes, les études s’étant penchées sur les dimensions des mains.

Après leur règne, on a martelé les pierres et cartouches qui portaient le nom de la reine Hatchepsout et de la reine Zénobie; on a systématiquement écarté les œuvres de Sappho en ne les recopiant pas; Hypathie mourut en 415 lacérée par des tessons de poterie; certains copistes de la Bible transformèrent des noms féminins en noms masculins; on décapita Olympe de Gouges, qui avait réclamé que les Droits de l’Homme fussent aussi ceux de la Femme…


Olympe de Gouges conduite à la guillotine

Aux temps héroïques des suffragettes, quand une femme montait à la tribune, il y avait invariablement, dans la foule, des hommes qui criaient «A poil!», injure qui voulait remettre la femme à sa place: celle de la procréation via son corps, dont elle n’a jamais eu le droit de disposer. Les premières étudiantes en médecine furent également saluées par cette insulte. Tout récemment, à l’Assemblée nationale française, un Néandertalien s’est permis de pousser des gloussements de poule pendant qu’une députée parlait…

En 2013, il semble qu’on en soit encore là: les femmes n’existent pas ou on les nie. Renseignement pris, le choix des 6 personnalités a été élaboré par une commission de 4 journalistes et historien-ne-s de la Suisse allemande, du Tessin et de la Romandie, comprenant 2 hommes et 2 femmes.

Parler de Michée Chauderon ou d’Anna Göldin, c’est soulever un sombre pan de l’Histoire, qui a tenu pendant des siècles comme déviant tout comportement qui s’écartait de la doctrine rigide qu’imposait l’Eglise catholique, les femmes ayant payé le plus lourd tribut (10’000 femmes accusées de sorcellerie pour 1000 hommes en Europe) et n’étant toujours pas considérées comme dignes de l’ordination sacerdotale. Parler de Valérie de Gasparin, c’est mettre en lumière le combat des femmes pour la paix, de Lysistrata à nos jours, et montrer les conséquences des guerres dans le quotidien, ce qui aurait été un pendant éclairant aux actions de trois chefs de guerre. Parler de Marie Goegg-Pouchoulin, c’est aborder la question fondamentale des droits, notamment ceux des femmes (la moitié de la population), qui ont acquis, en 1971 seulement en Suisse, celui d’être considérées comme des personnes et des citoyennes à part entière.

Près de 50 ans après Mai 68, que faut-il faire pour que nos têtes pensantes le comprennent?


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